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Et si on injectait plus de philo au monde des technos?

Lors de la Rencontre SPK de juin, nous explorions le thème de la philosophie agile avec Joëlle Tremblay, philosophe, et Georges Saad, co-fondateur de SPK. Nous avions, d’un côté, une belle bande de passionnés de techno ayant soif de découvrir toutes les subtilités de la méthodologie. D’un autre, des participants allumés à la recherche de réponses à la question « comment s’inspirer de la philosophie agile au quotidien? » Finalement, le volet technique a pris un peu le dessus.

Dans notre écosystème, nous apprenons et nous nous ajustons (en mode itératif, quoi!). Nous avons constaté qu’un sujet aussi vaste aurait mérité qu’on s’y penche plus d’une soirée. Mais ne vous inquiétez pas, nous comptons bien inviter à nouveau Joëlle dans une formule plus propice à la réflexion... On ne vous en dit pas plus pour le moment!

Comme j’ai déjà publié un article décrivant l’essence de la méthodologie agile, je m’en tiendrai aux idées qui ont retenu mon attention lors de la discussion. Je dois l’admettre, je ne saurais proposer un résumé fidèle de tout ce qui s’est dit... Précisons que j’avais des cartons colorés à lancer dans les airs, comme au soccer, en guise d’avertissement quand on s’éloignait trop du sujet!

Coup de théâtre

Premièrement, coup de théâtre : la philosophie agile n’existe pas. C’est une approche. La philosophie dépasse largement la méthode qu’elle utilise pour faire son analyse et sa synthèse. Ce qu’on appelle « philosophie agile », ce sont les fondements de base qui soutiennent l’approche. Le premier, soit l’idée qu’il faut accepter le changement, trouve écho dans plusieurs systèmes de pensée philosophiques, mais ne fait pas en sorte que la méthode agile est une philosophie. Joëlle nous explique la philosophie comme suit :

La philosophie, c’est beaucoup plus qu’une méthode de réalisation d’un projet. C’est une quête, un questionnement perpétuel, une remise en doute de ce que l’on croit évident et simple. Ce n’est pas être sceptique sur tout ce que l’on dit vrai, c’est savoir questionner ce qui ne l’a pas été depuis longtemps. C’est par sa quête de réponses que la méthode se donne. Le but donnant les moyens pour y arriver.

"Fun fact" : on nomme la philosophie la mère de toutes les sciences. Les premiers philosophes faisaient tous de la recherche scientifique sur le monde naturel, sensible. Dans la modernité, la philosophie s’est séparée des sciences lorsque la méthode expérimentale et le langage mathématique se sont imposés comme fondements du savoir scientifique . La philo découvre le réel par l’argumentation. Les sciences, par le calcul et des expériences. Le terrain d’investigation de la philosophie, c’est le réel dans son ensemble et non seulement ce qui peut être calculé.

La philosophie s’intéresse au tout alors que chaque discipline nous enferme dans une hyper-spécialisation. Il y a du bon dans chaque discipline, mais si on ne s’intéresse pas à l’ensemble, au monde, à la communauté dans lesquels notre projet ou nos recherches vont s’inscrire, il devient impossible de savoir s’ils vont  atteindre leurs objectifs.

Dans l’univers des technos, avec, entre autres, les avancées de l’intelligence artificielle qui vont plus vite que les réflexions sur leurs impacts et les enjeux éthiques qui y sont rattachés, on doit faire davantage de place à la philosophie.  

Plus d’humain dans l’équation

De par sa nature, la méthodologie agile propose des paramètres desquels il est difficile de déroger. Bien qu’elle soit efficace dans la livraison de projets numériques puisqu’elle se base sur des données empiriques, elle laisse peu de place à l’instinct, à l’aspect « organique » qui caractérise les humains et leur façon de penser (à l’image d’une plante dans toutes les étapes de sa croissance).

Trop souvent, la réflexion est vue comme une perte de temps en entreprise. Il était d’ailleurs intéressant d’entendre les points de vue de nos panélistes sur la notion de procrastination. Selon Georges, nous ne prenons des décisions que lorsque nous sommes obligés. Pour Joëlle, c’est le temps qui permet mieux aux réponses de tracer leur chemin. Qu’en pensez-vous?

Êtes-vous vraiment agiles?

N’aspirons-nous pas tous à plus de liberté au travail comme dans la vie? Lors du débat, nous en sommes venus à parler des gourous de la méthodologie qui jugent les firmes qui utilisent le terme « agile » sans appliquer totalement la méthode. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de certification basée sur les valeurs fondamentales. Elles portent seulement sur l’implantation technique. Pourquoi les gestionnaires ne pourraient pas simplement s’inspirer de l'approche? Le problème, c’est d’utiliser le terme comme élément central de son branding en manquant de transparence.

Nous avons convenu que le plus important, c’est d’adhérer aux valeurs de l’approche (que l’on peut lire notamment dans le manifeste agile). C’est d’elles que découlent les choix d’implantation de la méthode. Le contraire amène souvent des non-sens au sein des organisations qui suivent le courant sans se poser de questions. Le fameux « pourquoi? » auquel Joëlle nous ramenait constamment.

Encore de la philo, s’il vous plaît

Joëlle nous a expliqué que les philosophes contemporains ne s'attardaient pas beaucoup à la notion du « bien vivre », comparativement à la philosophie antique ou orientale. Elle nous a recommandé de nous intéresser au stoïcisme (la philosophie préférée de Georges, d’ailleurs!), qui a comme prémisse l'acceptation de ce qui ne dépend pas de nous. Si le sujet vous intéresse, j’ai bien aimé cet article qui explique pourquoi les Stoïques font de bons leaders (en anglais).

Finalement, je suis curieuse de vous entendre. Dans un monde où tout va vite et où l’on considère que « le temps, c’est de l’argent », comment réussissez-vous à créer des espaces pour la réflexion au quotidien? Vous inspirez-vous de courants philosophiques?

Photo de couverture : Elias Djemil